Pages

jeudi 10 avril 2014

Microfictions de Régis Jauffret



Microfictions est un recueil de nouvelles de 2007. Nouvelles d'une page et demie, deux pages grand maximum, classée par ordre alphabétique, de "Albert Londres" à "Zoo". C'est toujours écrit à la première personne, et cela prend des tranches de vie où tout est exacerbé. 


"Je est tout le monde et n'importe qui" annonce Régis Jauffret en 4e de couverture de son roman.


Mais qu'est-ce "Microfictions" ? 500 histoires "néo-réalistes", des fragments de vie de vraies gens regroupés en 1000 pages, des personnages tour à tour cruels, fascinants, attachants ou monstrueux et qui transpirent l'humanité et l'individualisme.

Mais "Microfictions" est avant tout la cartographie d'une société française désespérée, folle, hétéroclite et plurielle, une société qui sonne comme le miroir de nos propres tourments.

Extrait 1:



Extrait 2:

Assigné à résidence.

Je ne me considère pas comme quelqu'un de ridicule, même si je prête à rire. Je ne suis pas mon corps, ni les phrases qui sortent mal de ma bouche. Je ne suis pas même ma physiologie, avec son habitude de me faire loucher au moindre rayon de soleil, de me couvrir de pustules quand le cœur lui en dit, et de saupoudrer mes vêtements de pellicules malgré les traitements opiniâtres des dermatos.
Mon corps est pareil à une maison en mauvais état.
Aux murs lépreux, aux fenêtres capricieuses, dans laquelle j'aurais été assigné à résidence par une décision de justice m'interdisant d'y entreprendre les moindres travaux. Je vis à l'intérieur, subissant les trombes d'eau que le toit crevé déverse sur moi en me réveillant brutalement au milieu de la nuit, les morceaux de plâtre des plafonds qui s'écaillent, l'humidité, le froid, l'isolement.
Ma physiologie s'imagine sans doute qu'elle a pris le pouvoir.
Elle me considère comme une zone désespérée, soumise de surcroît aux vagues de la dépression dont elle me submerge à chaque changement de saison. Elle me pense écrasé dans le poing de son arrogance, comme un papillon qu'on vient d'attraper sans filet, et dont les ailes sont trop abîmées pour qu'il puisse espérer s'envoler.
En réalité, je n'ai jamais éprouvé un sentiment de solidarité avec mon corps.
Mon apparence m'est aussi étrangère qu'un poussin que je croiserais parmi des milliers d'autres si je passais mes vacances dans un poulailler. Ne croyez pas non plus que je me sente responsable de la totalité de ma pensée. La plupart du temps, elle est sécrétée par mon humeur, ou par les circonstances fortuites d'une réalité où je me trouve immergé par hasard. Il est rare que je me reconnaisse dans les sentiments qui pour exister utilisent ma conscience, dont la plupart du temps les portes restent ouvertes à deux battants comme pour abriter les plus démunis quand ils n'ont pas trouvé de refuge plus confortable où poser leur sac.
Avant même d'apparaitre au grand jour.
Mon amour est déboussolé, déjà usé, cabossé comme à la veille d'une rupture. Sa partie la plus vivante, est enracinée dans mes testicules dont je n'accepterai jamais de devenir l'otage. Il m'arrive pourtant d'avoir l'impression d'exister, d'être quelqu'un qui correspond tout à fait à l'idée que je me fais de qui je suis. Je me demande si vous l'avez jamais connu.
Au fil des phrases l'écrivain se dévide comme une pelote.
 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire